La pratique sportive varie selon les temps et les milieux qu’elle traverse. L’étude de cette pratique montre que des sociétés différentes n’ont pas les mêmes jeux, ni les mêmes manières de jouer. Le jeu fut, après la nourriture, la forme la plus ancienne de l’activité des hommes « homo sapiens, homo luduns », l’homme, d’après Schiller, ne serait tout à fait homme que là où il joue ?
Tout naturellement l’homme dans ses premiers jeux déploya sa force physique qui lui permettait de se procurer sa nourriture et de triompher de son environnement hostile. Peut-être pensa-t-il que les « dieux » n’étaient pas indifférents à ses exploits ? Les exercices physiques seront liés au religieux jusqu’à l’arrivée du christianisme qui n’apprécie pas le culte de la force physique et préfère le surnaturel.
L’homme associe son imaginaire aux mouvements de son corps et la danse se développe. La lutte, le pugilat développent la vigueur, la course à pieds l’endurance.
L’arc, le javelot, le lancer, permettent de chasser, mais aussi préparent la guerre. Le cong-fou en Chine, 2 700 ans avant Jésus Christ, utilise une méthode d’éducation physique dans un but religieux pour guérir le corps des maladies, le corps devant être un serviteur de l’âme. En Egypte, des exercices de luttes de bâton sont utilisés pour entraîner des soldats. Au Japon, le jui-juitsu assure la domination militaire des samouraïs. Les Aztèques jouaient à la paume, les cavaliers persans et tibétains au polo à cheval.
Pour autant, ainsi que s’interroge Jean Dury (1), « Peut-on situer les formes du sport contemporain en terme de « filiation » par rapport à des pratiques antérieures ? Le football, codifié par les Britanniques de la civilisation industrielle du XIXe siècle, est-il bien le descendant du « Harpastum »(2) des Romains, ou de la Soule (3) de nos campagnes ? … y compris dans la superbe « Gioca del Caltio » « Florentin » ? ». Georges Vigarello (4) semble lui répondre : « Du jeu de paume ancien au tennis contemporain, la différence n’est pas seulement dans la forme des outils, dans le dispositif du terrain, ou même dans le règlement du jeu, elle est plus encore dans l’organisation des épreuves, dans leur signification culturelle, dans leur sociabilité …Le sport, né avec la société industrielle, restituerait dans les loisirs les repères les plus spécifiques de cette société : libre initiative, investissement technique, compétitivité institutionnalisée. »
Déjà avant 1980, la commission « Sport » de la Cgt imageait le sport comme étant un miroir que se tendait la société et non selon la vision coubertienne d’un « esprit chevaleresque, dernier sommet et but suprême de l’activité sportive », laquelle conduit à voir l’activité sportive comme une « bulle » hors de la société avec ses héros, ses institutions, ses juges, sa morale.
On sait ce qu’il est advenu de cette bulle sportive qui a éclaté du fait de la financiarisation du sport, de l’utilisation du sport comme vecteur idéologique par le patronat, de la médiatisation intensive d’un sport spectacle à haut taux de profit et dont la finalité remet en cause « le mythe même du sport qui serait de se donner interminablement en exemple » (5). D’autant que le capital s’investit là où le profit est possible avec la plus grande chance de réussite, ce qui est contradictoire avec un autre mythe du sport : respect de l’égalité préalable, incertitude du résultat appelée « glorieuse incertitude du sport ». Jusqu’où le spectacle sportif peut-il se permettre d’être basé sur des résultats dépendant globalement du niveau des investissements financiers, de l’exploitation des athlètes, y compris de leur potentiel santé, de l’utilisation de modifications génétiques ? La porte est-elle déjà ouverte à un sport de laboratoire ? Le corps est-il devenu à ce point une marchandise ?
Partant de ce constat que chaque militant de la Cgt ne devrait pas manquer de faire, il convient de jeter un regard rapide en arrière afin d’éclairer les rapports complexes entre activités physiques et sportives et luttes du mouvement ouvrier pour s’approprier ces activités physiques et sportives.
(1) Jean Dury « Le Grand livre du Sport » – Editions Nathan.
(2) Harpastum : Jeu de balle chez les Grecs et les Romains.
(3) Soule : Jeu violent du ballon au Moyen Âge, réservé au peuple.
(4) Georges Vigarello « Passion Sport, histoire d’une culture » – Editions Textuel.
(5) Idem.