Face à la réforme de la SNCF, le syndicaliste Thomas Portes appelle les agents à une mobilisation d’ampleur dans POLITIS
A toi Julie qui travailles au technicentre de Saintes. À toi Marc qui es contrôleur à Marseille. À toi Sabrina qui travailles au service RH de Lyon. À toi Xavier, infirmier en région parisienne. À toi Marie qui travailles à l’escale en gare de Strasbourg. À toi Pierre, agent de la voie à Nantes. À vous cheminotes et cheminots.
Depuis plusieurs jours nous sommes tous bouleversés, inquiets et en colère. Le rapport Spinetta, puis le « nouveau pacte ferroviaire » d’Édouard Philipe ont fait l’effet d’une bombe sur nos têtes. À table avec nos familles, à midi avec les collègues à la cantine, nous ne cessons de nous interroger, pourquoi un tel acharnement sur nous ?
L’heure est grave, les annonces violentes. La réforme de la SNCF, que tente de nous imposer le gouvernement par la voie des ordonnances, est une attaque sans précédent contre le service public ferroviaire.
Le scénario est connu, bien rodé. D’abord la réforme est justifiée par « l’ouverture obligatoire à la concurrence ». Premier mensonge. Rien n’impose l’ouverture à la concurrence. En effet les traités européens permettent à un État de déroger à l’ouverture à la concurrence concernant le service public ferroviaire, via l’attribution de contrat de service public. Il faut que nous cheminots, un par un, nous expliquions à nos collègues, que non rien n’est obligatoire.
Ensuite vient le temps de la stigmatisation. Lequel d’entre nous n’a pas entendu ou lu « ah ces privilégiés de cheminots avec leur retraite à 50 ans et leur salaire à 3 000 euros ! ». Mais qui parle des nuits en découchée, quasiment une sur deux, où Marc dort loin de sa famille ? Qui parle des jours fériés travaillés par Marie ? Qui évoque les travaux de nuit quasiment quotidien, par période de cinq jours, imposés à Pierre, alors que c’est reconnu comme cancérigène ? Qui parle des astreintes de Julie les week-ends ? Personne. Depuis plusieurs jours, on nous livre en pâture à l’opinion publique, on parle de notre quotidien sans le connaître.
Comme Julie, j’ai mal quand j’entends sur RMC « les cheminots quand ils parlent de leur travail, on croirait lire Germinal, ils finissent tous à 17 heures ». Comme Xavier, je suis blessé quand j’entends « ils ne font rien, ils sont trop nombreux » sur les ondes d’Europe 1. Comme Pierre et Sabrina, je suis en colère quand j’entends le chroniqueur Gilles-William Goldnadel dire « les cheminots sont invirables ! ». Nous avons tous, à un moment ou à une autre, défendu un collègue menacé de licenciement ou licencié. Les faits sont têtus, en 2015, il y a eu à la SNCF 1 841 licenciements : pour fautes, ruptures conventionnelles, démissions ou départs volontaires. Ces gens ne mesurent pas les dégâts qu’occasionnent de tels propos dans nos vies. Par exemple quand Xavier va chercher son fils à l’école et que celui-ci lui répète « papa, les copains, ils disent que tu fous rien au travail ? » ou quand Manon rentre chez sa mère et lui dit « au lycée les copains, ils disent que tu vas être virée, c’est vrai ? ». Les dommages collatéraux de tels mensonges sont terribles. Julie, Marc, Sabrina… Aucun de nous ne doit subir cela. Jamais.
Une bataille d’intérêt général
Les semaines qui s’annoncent sont cruciales. Pour nous, pour les usagers, pour le pays. Ne tombons pas dans le piège médiatique, la bataille du rail que nous nous apprêtons à mener, car il faudra la mener, n’est pas une bataille des cheminots. C’est une bataille de l’intérêt général pour maintenir le service public ferroviaire, un bien commun, le bien de la nation. Quand Julie répare les trains au technicentre, c’est pour permettre aux usagers de circuler dans de bonnes conditions de sécurité. Quand Marie accueille les usagers sur le quai de la gare de Strasbourg, elle facilite le trajet des usagers. Quand Pierre travaille cinq nuits d’affilées pour mettre en état la voie, c’est aussi pour les usagers. Tous, nous sommes attachés à cette notion de service public. Nous n’accepterons pas que le gouvernement la balaye d’un revers de main pour répondre aux intérêts de quelques-uns !
La grève, si le gouvernement persiste, tant sur la forme que sur le fond, sera la réponse à apporter aux fossoyeurs du rail. Julie a un crédit pour sa maison. La grève ce n’est jamais simple, elle n’est jamais faite de bon cœur. Xavier vit seul avec ses deux enfants, Marie doit payer les études de son fils étudiant à Paris … Tous, nous devrons faire des sacrifices. Ne laissons pas croire aux cheminotes et cheminots que cela sera rose. Non, cela va être difficile, nous allons perdre de l’argent. Nous allons être soumis à la vindicte populaire, traités de preneurs d’otages, de fainéants. Il nous faudra tenir bon, ne pas baisser la tête.
Pour le service public du pays
Des tensions vont naître dans les familles et les couples. Des incompréhensions vont apparaître auprès de nos amis et parfois même de certains collègues. Julie, Marc, Xavier, Marie, Pierre, il nous faudra expliquer inlassablement, répéter, décrypter et ne pas céder aux insultes. Le combat s’annonce long, nous devons être à la hauteur.
Pas pour nous, mais pour nos enfants, pour les usagers, pour le service public du pays. Car au fond, derrière la question de la réforme de la SNCF, se pose la question de savoir dans quelle société nous voulons vivre.
Dans chaque conflit majeur, les cheminots ont fait front ensemble, agissant comme une locomotive du mouvement social pour imposer d’autres choix de société. Les regards sont braqués sur nous. Certains arment leurs yeux de missiles, prêts à nous détruire à la première occasion. D’autres, et ils sont nombreux (43 % des Français disent être prêts à soutenir le mouvement de grève), les armes d’espoirs.